Le 17 novembre 1999 ouvrait un nouveau restaurant sur le Vieux-Port, en lieu et place d’une pizzéria au premier étage d’un immeuble, à l’angle de la rue de la République. Lionel Lévy se souvient de ce jour où, après avoir été le second de Christophe Moret au Spoon rue de Marignan (Paris VIIIe), il inaugurait sa propre Table, au Sud. Presque 20 ans plus tard, le cuisinier en charge de la brasserie et du restaurant de l’Intercontinental Marseille se pose des questions sur l’avenir de la restauration traditionnelle. A la tête d’une brigade de 48 personnes qui font tourner une brasserie, un restaurant gastronomique et un room service, l’ancien Ducasse boy réfléchit à voix haute…
Le guide Michelin révèle son classement 2018 le vendredi 5 février prochain. Quel est votre état d’esprit ?
Comme de nombreux cuisiniers, j’ai été invité, donc j’irai. A cette heure, mon état d’esprit est serein, notre travail à l’Alcyone (le restaurant gastronomique de l’hôtel, NDLR) s’avère des plus réguliers. Personnellement, je sais où je veux aller et quel chemin prendre et Cédric, mon second, a la tête sur les épaules, le tandem fonctionne bien. La nouvelle équipe en salle n’a pas un an d’âge, donc il faut consolider là encore.
Comment définir le style Alcyone 2018 ?
Je vais de plus en plus à l’essentiel, je me défais des futilités. Je vais vous dire comme tout le monde : nous faisons un gros travail sur la sélection des produits, sur les cuissons et les assaisonnements. C’est bateau tout ça, c’est la base même de nos métiers, il n’est plus utile de le préciser pourtant c’est l’essentiel, il faut aller au but. Parallèlement, nous travaillons beaucoup les sauces, je suis très heureux d’un homard sauce daube au vin rouge par exemple et de tous ces jus mouillés avec des consommés de légumes ou de volaille. Pour parvenir à des résultats dans ce domaine, on a besoin de temps…
« Il ne faut pas cuisiner pour le Michelin mais pour le seul client et si le Michelin nous décore alors on est heureux… Mais ne jamais oublier le client »
A quoi ressemble la cuisine de restaurant aujourd’hui ?
Aujourd’hui, la technique monopolise l’assiette. Ce ne sont plus des assiettes mais des tableaux, des oeuvres d’art, et la technique n’est plus là que pour l’apparat. J’ai décidé de mettre la technique au service de ce qui ne se voit pas. Mes assiettes sont peut-être plus simples mais pour en arriver à leur niveau de saveur, il nous a fallu des heures et des heures de cuissons et de temps de repos. Comme autrefois, je voudrais que ma cuisine prenne du temps.
Le retour au goût bien avant le visuel…
C’est le goût qui est le plus important. Deux choses priment aux yeux des gens : l’effet waouh de l’assiette qui doit être belle comme un mannequin de défilé et l’usage de produits locaux. On galvaude le concept locavore jusqu’à la caricature au risque de préférer un produit moyen d’ici à quelque chose d’excellent venant de là-bas. C’est un mal très français…
« Des jeunes me disent qu’ils se font chier au restaurant. Qu’est-ce qu’on a raté ? »
Vous ramez à contre-sens ?
Evidemment que je défendrai toujours la région et ses produits mais gare à trop de technique, trop de waouh dans l’assiette et trop de concepts fumeux qui nous éloignent de l’authenticité et de l’histoire que nous voulons raconter.
Comment voyez-vous la restauration de demain ?
Je me pose des questions lorsque certains jeunes me disent qu’ils se font chier au restaurant. Qu’est-ce qu’on a raté ? Les jeunes veulent manger à n’importe quelle heure, soit vite, soit lentement, à des tarifs intelligibles. C’est un constat. A nous de renouer avec la cuisine du quotidien de qualité. Il faut admettre que la pizza ça peut être grandiose, que la daube-purée c’est sublime. Le comportement des nouvelles générations pousse la restauration à se réinventer et je suis ravi de cette évolution des moeurs.
Vous savez quoi leur dire aux jeunes ?
Toute la complexité, c’est que la clientèle veut du maxi à prix mini. A 15 €, il n’est pas possible de servir un bar de ligne avec une entrée et un dessert… C’est aussi ça un prix intelligible.
« Il y a deux écueils à éviter : le chef donneur de leçons et le client à l’affût pour nous démolir instantanément sur les réseaux »
Et demain ?
Un restaurant, c’est la convivialité, le partage, l’échange. Si le personnel n’en est pas capable, alors on sera servi par des robots. Nous devons renouer avec l’esprit aubergiste. Aux serveurs de l’Alcyone, je demande d’avoir le sourire, d’être attentionnés et bienveillants et de personnaliser le service. Tant pis s’ils ne savent pas découper un canard au sang. Aujourd’hui, le client veut être pris en considération et parler « équitablement » avec un sommelier, un chef, un maître d’hôtel sans qu’on lui fasse la leçon. Il y a deux écueils à éviter absolument : le chef donneur de leçons et le client à l’affût pour nous démolir instantanément sur les réseaux.
Vous avez quitté la vice-présidence de Gourméditerranée au 31 décembre 2017 ?
Je ne suis plus vice-président de cette association depuis cette date, l’ayant été depuis sa fondation en 2012 ; il fallait bien passer le relais ! Alexandre Mazzia et Sébastien Richard ont pris la suite et sont très motivés pour continuer à faire vivre l’histoire. A ce jour, Gourméditerranée a fait de très belles choses et des amitiés sont nées, c’est ce qui me fait dire que ça va perdurer…
InterContinental Marseille, Hôtel-Dieu ; restaurant Alcyone, réservations au 04 13 42 42 42. Menus 99 et 139 € ; carte 130 €. Ouvert du mardi au samedi le soir uniquement.
Photos Jean Fondacci et DR
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