Le musée et les jardins du prieuré de Salagon, à Mane dans les Alpes de Haute-Provence, organise deux soirées-conférences sur le thème du pain. Mouette Barboff, docteur en ethnologie anthropologie sociale de l’Ehess/
Conférence le vendredi 23 mars à la Terrasse de Lurs (réservations au 04 92 87 77 52) et le samedi 24 mars au Bistrot de Niozelles (04 92 73 10 17), suivie d’un repas de plats de terroir pétris et imaginés par les bistrotiers.
Mouette Barboff : « Depuis les années 80, on peut dire que le pain artisanal a évolué dans le bon sens »
Le Grand Pastis : Madame Barboff, le pain est-il en bonne santé en 2018 et mange-t-on des pains de meilleure qualité qu’il y a 50 ans ?
Mouette Barboff : Tout dépend de celui qui le fait ! Après la pénurie de pain pendant la dernière guerre, le pain a connu une longue période de crise en raison du pétrissage accéléré destiné à blanchir la mie, l’usage d’améliorants censés faire pousser la pâte plus vite et augmenter le volume du pain, etc. dans le but de gagner du temps. Mais depuis les années 80, on peut dire que le pain artisanal a évolué dans le bon sens, en respectant les temps de pétrissage, fermentation et cuisson. Un retour aux procédés naturels qui ne concerne pas seulement les boulangers, mais toute la filière céréales-pains.
Le G.P. : Combien y a-t-il de pains en France aujourd’hui ? Que raconte cette diversité ?
M.B. : Difficile d’avoir un compte exact, mais la France peut s’enorgueillir en effet d’avoir une grande diversité de pains, parmi lesquels les pains régionaux, emblématiques d’une région, d’une ville ou d’un village. Cette diversité s’explique en fonction du contexte écologique, géographique, économique, historique, en fonction des coutumes et des goûts culinaires locaux. Chaque pain possède une saveur particulière, chaque pain a une histoire, certains sont même porteurs d’une mémoire collective et racontent une histoire. C’est le thème de mon livre Pains de Boulangers. En ville, les pains se diversifient en fonction des modes, comme les pains aux céréales, les pains rustiques, et plus récemment, les pains sans gluten !
M.B. : Depuis plusieurs années déjà, les médias se sont emparés de la question du gluten, face aux consommateurs inquiets et surtout mal informés. Le pain est en première ligne, bien que d’autres aliments contiennent aussi du gluten. La demande de pain sans gluten oblige les professionnels à rechercher des céréales contenant peu ou pas de gluten, comme le sarrasin, maïs, millet, riz, sorgho, quinoa, etc. Le blé tendre est la céréale qui contient le plus de gluten (7%), et la plus utilisée pour faire le pain. Grâce au gluten, la mie est légère, souple et alvéolée. A l’inverse, le pain sans gluten, est dense et lourd. Curieusement, des clients demandent à leur boulanger du pain sans gluten, avec l’aspect du pain avec gluten ! Cela montre la confusion qui règne à ce sujet, attendons donc qu’une véritable enquête scientifique soit réalisée, pour y voir plus clair. En France, nous avons la chance d’avoir environ 30 000 artisans boulangers, concurrencés par l’industrialisation de la panification. Aussi, pour avoir du pain de qualité et préserver ces commerces de proximité et de sociabilité que sont les boulangeries, les clients doivent consentir à le payer un peu plus cher que le pain industriel.
De nos jours, le pain artisanal n’est plus l’aliment de base d’autrefois, ni même un aliment d’accompagnement, c’est un aliment gastronomique qui doit être considéré comme tel. Ceci est indispensable, si nous voulons que les artisans boulangers et leur savoir-faire se maintiennent, et ne pas disparaître à jamais. Dans les campagnes, de jeunes agriculteurs pratiquent de plus en plus une agriculture biologique en remplacement de l’agriculture conventionnelle ou même raisonnée, pour s’émanciper des systèmes en vigueur, sauvegarder la biodiversité et respecter la traçabilité. Là encore, c’est le combat entre le pot de fer et le pot de terre, mais on peut rêver en un avenir meilleur, car les consommateurs sont beaucoup plus vigilants sur la qualité des produits qu’ils consomment. L’avenir est donc entre leurs mains.
A lire : « Pains de boulangers » de Mouette Barboff chez Gourcuff Gradenigo Ed. ; 39 €.
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