Jamais musée n’a été aussi vivant. En proposant des dîners, déjeuners et moments de dégustation réfléchie autour de l’exposition « Picasso-Voyages imaginaires », pour la première fois, l’art et la cuisine font chapelle commune. Jusqu’au 24 juin prochain, allez admirer, de jour, les oeuvres disséminées dans 6 espaces du rez-de-chaussée de la Charité. Le soir, tableaux, sculptures et poteries racontent d’autres histoires. Le principe ? Le public participe à une visite accompagnée autour d’œuvres choisies. En cortège ensuite, on pousse les portes de la chapelle de la Vieille Charité, à la nuit tombée, pour déguster les saveurs que ces oeuvres ont inspirées au cuisinier Emmanuel Perrodin.
Un dîner dans la chapelle
Comment traduire dans un dîner les élans inspirationnels de Pablo Picasso ? Le cuisinier Emmanuel Perrodin a relevé le défi et est entré dans la chair de l’oeuvre. Il en résulte un repas servi à la façon d’un banquet antique mais ce soir, les femmes sont admises… Dans le coeur de la chapelle, 2000 litres d’eau composent un étonnant miroir dans lequel se mirent les Baigneurs à la Garoupe ; un magistral ensemble sculptural de Picasso qui apporte toute sa majesté à l’événement. Ces repas vespéraux ont été baptisés « Tentacules », c’est sexuel et méditerranéen. Perrodin dit bonsoir, énonce sa note d’intentions. Sur les tables de bois, pas de pain : c’est l’exercice qui l’exige. Un verre d’absinthe pour la note anisée accompagne un oursin en céleri vin jaune. On va manger de la mer. Un peu de pain azyme et un cromesquis de lapin couleur noir charbon. Sur l’île grecque, le chasseur a capturé un lapin sauvage, la tête tourne, le vertige arrive lorsqu’on déguste cette huître à l’absinthe, comme le ressac des vagues, l’alcool jaune va et vient. Un ensemble poulpe-seiche à l’encre noire est accompagné d’attieke, une racine de manioc râpée comme en Côte d’Ivoire. Le plat est servi sur une toile de peintre. L’encre de seiche, la betterave, le manioc… noir, rouge, jaune, le tableau se peint malgré nous. Le tortellini à l’ortie-lait d’aulx et amandes nous conduit sur les contreforts du Vésuve, Naples n’est pas loin. Point culminant du banquet, l’os creusé est rempli d’une viande de taureau émiettée-colatura cacahuètes et patate douce au thé. Le Minotaure est repus. De loin en loin, une artiste, un feu-follet, scande des psaumes à la gloire de la pomme ou de la crevette. La pâtissière Clémence Francou a eu l’idée de proposer un tentacule de guimauve citron et caillé au sirop d’eau de mer. Surprenant, déroutant, intrigant, délicieux. On applaudit l’équipe des Grandes Tables de la Friche, jamais absente de ces beaux moments et à qui la soirée doit tout. Perrodin dit au-revoir. On sort de la chapelle, revenus au XXIe siècle.
Visites à déguster le vendredi 27 avril à 11h30 et les mercredis 2 mai, 16 mai et 6 juin de 11h30 à 13h : 37,50 € (places limitées).
Informations : 04 95 04 95 28. Dîners dégustations, les 29 et 30 mai de 19h à 22h : 37,50 € (places limitées). Informations : 04 95 04 95 28. Billetterie sur digitick.com
Œnochoé minoenne et poulpes, la visite avant le banquet
Quitte à surprendre, Pablo Picasso a peu voyagé mais ses rares déplacements à Rome, avec Jean Cocteau, en 1917, puis à Naples ont marqué durablement la carrière de l’artiste. Les baroques et les classiques d’abord, les surréalistes dès 1937 (« Guernica » et un fameux portrait de Dora Maar datent de cette période) ensuite, auront une influence considérable dans la progression de l’artiste. L’exposition de la Charité présente également des tableaux aux sujets morbides, aux traits sombres, fonds gris et ternes qui datent de la Seconde Guerre mondiale… Sous la houlette de Guillaume Theulière, conservateur et commissaire de l’exposition, et de Stéphane Abellon, archéologue, la visite marque le pas devant une « Nature morte aux deux poulpes et aux deux seiches » datant de 1946. Le tableau est étonnamment plein de vie : installé à Antibes, Picasso peint avec ce qu’il y trouve : une planche de contre-plaqué et de la peinture oléorésineuse, en résumé : de la peinture pour bateau. Theulière et Abellon entament alors un remarquable duel-duo : « Remarquez comme ce tableau répond à cette Œnochoé minoenne », s’enthousiasme Abellon l’archéologue. Œnochoé ? Un pichet à vin en céramique tournée de 3500 ans d’âge, c’est la Joconde des musées de Marseille, une fierté que tous les musées du globe nous envient. Picasso a foulé le sol de certaines îles des Cyclades comme Hydra, et s’est passionné pour le labyrinthe, symbole du parcours de nos vies, l’érotisme du Minotaure, les chouettes, animal fétiche d’Athéna. A noter encore, l’exceptionnel vase utilisé lors des banquets grecs, décor à la figure rouge façonné par les potiers athéniens… Clin d’oeil historico-artistique au banquet donné en 1907 par Picasso en l’honneur du douanier Rousseau.
L’expo « Picasso, voyages imaginaires » se partage sur deux sites. Au Mucem, on admirera : « Picasso et les Ballets russes, entre Italie et Espagne ». A la Vieille Charité, on verra plus de 100 chefs-d’œuvre – peintures, sculptures, assemblages, dessins – en dialogue avec la collection de cartes postales de l’artiste et des œuvres maîtresses des musées de Marseille. Point de départ de ce voyage imaginaire, c’est à Marseille qu’en 1912 Picasso achète des masques africains qui marqueront à jamais son œuvre. L’expo couvre cinq destinations : Bohème bleue, Afrique fantôme, Amour antique, Soleil noir et Orient rêvé. Clou du parcours, l’ensemble sculpté « Les Baigneurs » est présenté sur un miroir d’eau de 2000 litres dans la chapelle. Sublime.
Picasso-voyages imaginaires, à la Vieille Charité, du mardi au dimanche de 10h à 18h. Au MuCEM, du mercredi au lundi de 11h à 19h. Tarifs : expo, 12 € et 8 € (musées gratuits le 1er dimanche du mois). Billet couplé pour la Vieille-Charité et le MuCEM : 15 €. Infos au 04 91 14 58 56 et en cliquant ici.
Ajoute un commentaire