Il est treize heures, le soleil au zénith, la pierre des façades brûle tout Avignon. A quelques heures du lancement du festival de théâtre, le restaurant Christian Etienne fourbit ses armes. Après le menu cochon en automne, le menu truffes en hiver, et le fameux menu printanier, Guilhem Sevin présente son menu tomates, un rendez-vous initié par le fondateur moustachu de cette maison, il y a une bonne vingtaine d’années dont les Sevin ont pris la succession. En salle, une équipe jeune va et vient avec concentration et ses sourires font oublier quelques gestes imprécis chez les derniers arrivés. Il faut reconnaître qu’elle impressionne cette maison, couverte d’ampélopsis, construite entre la fin du XIIe et le début du XIIIe siècles. La distribution des rôles est celle de toutes les maisons de famille : tout en haut des marches, Corinne Sevin incarne la maîtresse de maison. En cuisine, Guilhem entraîne sa brigade. Des Anglais, des Japonais, tous viennent de loin pour vivre l’expérience… Va falloir assurer.
Taureau fondant, jus gourmand
Du menu tomates millésime 2018, on retiendra la volonté de nous offrir beaucoup de fraîcheur ; la gambas obsiblue coriandre et avocat en guacamole-pulpe de tranche de tomate résume ce souci du produit rare cuisiné au plus juste. Suit un trio de tartares de tomates (ananas, green zebra, coeur de boeuf) au parfait assaisonnement. Pour accompagner le filet de sébaste-crème d’ail riz vert coeur de tomates et tomates olivettes confites, le sommelier a choisi un millésime 2014 chez Henri Bourgeois, cuvée la Demoiselle de Bourgeois, un 100% sauvignon qui raconte le terroir de silex, la fraîcheur florale et les notes boisées en fin de bouche pour la profondeur… Après le poisson, la viande et un fondantissime filet de taureau-polenta pailleté d’or et haricots liés d’une concassée de tomates marmande-jus infusé au poivre. Une, puis deux, puis trois cuillères de jus, c’est un bonheur de saucer cette réduction qui colle aux lèvres, la viande est tendre, intense et délicate, c’est une réussite. Un chèvre cendré de la Garde-Adhémar, crémeux, intense avec une belle longueur joue sur les deux tableaux : le fondant d’un côté, le croustillant des cheveux d’ange de l’autre. Comme une déclaration à ses clients, le chef leur offre un coussin d’amour, façon blanc-manger avec un sablé huile d’olive. Une composition anisée relevée par un élixir de safran bio de chez Ludwig Hauwelle pour la note fugace et aérienne.
Alors faut-il y aller ? Le menu thématique est une figure de style en cuisine assez difficile dont Guilhem Sevin s’extirpe avec a propos. Ses assiettes sont variées, jamais répétitives et les tomates y figurent à des degrés divers. La partition est végétale, le chef épouse son époque qui exige de la légèreté et des saveurs. Alors oui pour l’esprit familial de cette adresse, oui pour la cuisine qui cherche, expérimente et nous fait sentir la volonté d’un cuisinier d’aller toujours plus loin…
10, rue de Mons, à Avignon ; infos au 04 84 88 51 27. Menus déjeuner 35 et 48 € ; menu tomates 75 €, menus 85, 105, 130 €. Ouvert 7/7j en juillet, fermé le mer et jeu en août.
Un étonnant voyage en cuisine à écouter
Pour célébrer la 30e année d’étoile au Michelin, Corinne et Guilhem Sevin ont imaginé un voyage sonore en cuisine et confié cette oeuvre au designer sonore Benjamin Darmon. Le client s’équipe d’un casque et se laisse partir dans les coulisses, en cuisine, où la voix du chef scande le service et les « oui » résonnent comme une antienne. La musicalité est évidente, les oscillations racontent le stress, le coup de feu, la montée en protase du service qui annonce le point culminant puis l’apodose, le retour au calme après la tempête. C’est une innovante façon de nous faire vivre le métier et de mesurer le contraste entre l’agitation et l’énergie en coulisses, le calme, la quiétude, le rythme maîtrisé du service. La salle, comme un aboutissement et le début en même temps d’une nouvelle aventure.
Le voyage sonore est proposé avec le menu du Palais dans sa version à 130 €.
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