Il a été l’un des rares chefs qui justifiaient le détour à l’époque où les bonnes tables à Marseille se comptaient sur les doigts des deux mains. Pendant 28 ans, Dominique Frérard a dominé le Vieux-Port depuis son cher « Trois Forts ». L’homme a formé des générations de chefs qui se prévalent désormais de sa cuisine. 30 ans après son arrivée à Aix d’abord, et Marseille ensuite, Frérard porte un regard heureux sur ses 28 années passées à Marseille. Cohabitation avec les multiples directeurs du Sofitel, propositions refusées, engagement associatif et rendez-vous raté avec le Michelin… Frérard dit tout.
Le Grand Pastis : Depuis 1992, le nom de Dominique Frérard est intimement lié à la Provence…
Dominique Frérard : J’ai quitté la Corse et me suis installé au Grand hôtel du Roy René à Aix-en-Provence le 15 janvier 1992 porté par un homme : Domenico Basciano. Cet homme a toujours eu confiance en moi, bien que distant en apparence, c’est un homme en réalité très timide. Lui était un « homme Pullmann » et moi je n’avais travaillé que dans des Relais & Châteaux. Un an après mon arrivée à Aix, il est venu me voir un soir en cuisine, à 23 heures, pour me demander de le suivre à Marseille, « parce qu’il y a tout à faire » m’a-t-il dit. Lorsqu’on est arrivé ici (au Sofitel, NDLR) en 1994, nous avons d’abord décidé de servir une cuisine provençale qui a évolué ensuite sur l’italo-méditerranéen. Quatre ans plus tard, en 1998, c’était la coupe du monde de foot avec le formidable éclairage qu’elle a apporté sur Marseille. La suite on la connaît.
Le G.P. : Votre meilleur souvenir ?
D.F. : C’est ici, au Sofitel, en 1996, lorsque j’ai reçu la Clef d’or du Gault & Millau. Ce prix validait tous les choix que nous avions faits : faire revenir les gens, régionaliser l’hôtel dans son âme et à la carte de son restaurant. C’est une distinction collective car tous ces choix avaient été discutés et décidés des employés jusqu’aux cadres…
Le G.P. : Au début des années 2000, on vous a proposé de reprendre une brasserie, avec des associés, sur le cours Mirabeau à Aix. Ça ne s’est pas fait, pourquoi ?
D.F. : Je n’ai pas fait le choix de rester chez Accor pour des questions de sécurité de l’emploi. J’ai aussi été approché pour travailler à la Rotonde et également à la brasserie La Mado sur la place des Prêcheurs à Aix mais je n’ai pas « senti » l’expérience et j’ai préféré être un grand chez les autres qu’un plus petit chez moi.
« J’ai eu deux étoiles en 1991 ; la première avec le Michelin en mars et la seconde en juin avec la naissance de mon fils, Jean-Baptiste »
Le G.P. : Avec quel directeur d’hôtel vous êtes-vous le mieux entendu ?
D.F. : Avec chacun, il y a eu une relation différente mais toujours privilégiée. Peut-être avec Domenico Basciano car avec lui, le restaurant les Trois Forts a acquis une telle notoriété que personne après lui n’a osé toucher à tout ce qu’il avait fait pour hisser le restaurant au plus haut. Avec Loïc Fauchille, ensuite, pendant 13 ans, nous avons entretenu l’aura et la réputation de l’hôtel. Il y a eu ensuite Bruno Sagné puis Silvio Iacovino à qui l’on doit la création et l’aménagement des terrasses… Il m’a redonné le goût et l’envie, un coup de fouet dans ma carrière. Paul Barthe lui a succédé et ça n’a pas été facile car il a dû gérer la crise Covid. Aujourd’hui, Vincent Gaymard prend le relais : il est à lui seul une source d’idées et de projets incroyables. Avec lui, l’hôtel est en de bonnes mains.
« J’ai pris ma décision le 2 juin 2022. J’ai tapé la lettre dans la salle de restaurant et j’ai fait tellement vite que j’ai oublié les pièces jointes dans l’envoi de mon mail »
Le G.P. : N’avoir jamais décroché une étoile pour les Trois Forts, c’est une douleur ?
D.F. : C’est surtout une incompréhension que Michelin m’a fait payer cher ; j’ai peut-être parlé à haute voix en comparant le guide rouge à d’autres et ça leur a peut-être déplu. Mais c’est surtout pour mes équipes et tous ces gens qui ont travaillé dur que ça a été le plus injuste. Le côté amusant de la chose, c’est qu’il y a des clients qui pensent encore que le restaurant a une étoile…
Le G.P. : Qu’auriez-vous pu faire d’autre ?
D.F. : Je vous l’ai déjà dit : mon rêve, c’était d’être journaliste à l’Equipe, je suis un fou de tous les sports.
« En Corse, j’avais l’étoile, les meilleures notes au Gault & Millau mais ma priorité, ça a toujours été ma famille »
Le G.P. : Qui, après vous ?
D.F. : Nous sommes tenus par le secret jusqu’au 2 décembre mais c’est un chef qui travaille déjà dans les Bouches-du-Rhône, il a 40 ans et a travaillé aux côtés de Yannick Alléno. Il connaît le groupe Accor puisqu’il a déjà officié au Sofitel Faubourg, (rue Boissy-d’Anglas, Paris VIIIe, NDLR).
Le G.P. : Qu’allez-vous faire après ?
D.F. : Je vais donner des cours et faire de la formation à la Villa des Chefs, comme je le fais déjà depuis 13 ans. Je vais aussi travailler avec Serge Pujol au restaurant Olivadors et maintenir mes engagements dans les associations caritatives, les Cuistots du cœur dont je suis le parrain. Je travaille aussi sur un projet d’ouverture de restaurant israélite qui ouvrira sur le Vieux-Port.
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