Gui Gedda publie cet été « Une vie frottée d’ail », un ouvrage somme, un ouvrage patrimonial dans lequel le cuisinier de 91 ans raconte ses souvenirs, partage ses convictions et rectifie le tir sur de nombreuses idées reçues concernant la cuisine provençale. Un entretien rare qu’il a accordé au Grand Pastis. A l’heure où le clocher de Bormes sonne les 11 heures, dans son jardin, à l’ombre des arbres, Gui se livre.
Nous publions aujourd’hui le second volet de deux interviewes croisées, l’une de Mayalen Zubillaga et l’autre de Gui Gedda à l’occasion de la sortie du livre de ce dernier, Une vie frottée d’ail.
Le Grand Pastis : Vous avez écrit 21 livres durant toute votre carrière ; pourquoi ce dernier ouvrage était-il nécessaire ?
Gui Gedda : C’est parce que j’ai un certain âge et je veux mettre des choses au point. Il y a trop d’énormités qui ont été écrites sur la cuisine provençale pendant tant d’années. Ma grand-mère maternelle et niçoise était excellente cuisinière, elle est venue à Marseille en 1908 et s’est installée dans un restaurant sur le quai de Rive Neuve qui s’appelait « le Magnifique » et dont je n’ai pas retrouvé traces. Aussi incroyable que cela paraisse, on ne mangeait pas niçois à Marseille à l’époque ! Elle a bien essayé le stockfish mais ça a été son plus grand fiasco ! Alors, elle a voulu faire des pieds-paquets, elle a demandé la recette à un tripier et au fil du temps elle a fait évoluer la recette en ajoutant du Noilly-Prat notamment.
Le G.P. : Elle n’a pas récupéré la recette du Reboul ?
G.G. : Reboul c’est un compatriote, c’était un Varois de La Roquebrussanne. Il n’empêche que ma grand-mère a été totalement incapable de faire sa recette des pieds-paquets. D’abord, il parle de tripes qui est un terme générique regroupant la caillette, la panse, le feuillet et le bonnet. Or, pour la recette, on n’utilise que la panse. Ensuite, elle a tenté de réaliser les pieds-paquets à la boutonnière selon ses explications, et elle n’y est pas parvenue non plus. Je ne suis pas sûr que Reboul ait écrit lui-même la totalité du livre, sans même parler des éditions parues après sa mort. Il me semble qu’il a beaucoup copié Marius Morard qui, pour moi, est le plus grand, même s’il parle aussi de tripes au lieu de panse pour les pieds-paquets.
Le G.P. : Vous jetez un sacré pavé dans la mare !
G.G. : Je ne veux pas dire du mal de Reboul, mais je remarque simplement que son livre n’est pas très provençal malgré son titre. On y trouve la choucroute alsacienne ou la choucroute de raves, et dans l’édition de ma grand-mère, il y a même le râble de daim ! Surtout, il n’y a rien de la cuisine niçoise. La première édition sort en 1897, donc trente-sept ans après que Nice est devenue française, et Reboul ne parle pas toujours pas de la pissaladière.
Le G.P. : Selon vous la Provence s’étend de la Camargue jusqu’à Menton…
G.G. : Je pense même que la Drôme est plus provençale que Menton, encore très marqué par l’Italie. Mais la cuisine provençale reste très, très influencée par la cuisine piémontaise à l’instar de la soupe au pistou. Pauvre soupe au pistou, ils l’ont assassinée ! J’ai lu des recettes avec des navets ou du céleri… Même du parmesan, mais jamais de la vie, pas de parmesan ! Du rouge hollandais, de la mimolette vieille, c’est tout.
« Papa disait qu’à Marseille il y avait le meilleur poisson au monde pour faire la soupe de poissons ou la bouillabaisse »
Le G.P. : Avez-vous conscience d’être un monument dont la parole fait autorité ?
G.G. : A ma connaissance, il n’y a en France aucun cuisinier régional qui a écrit 21 livres valorisant tout à la fois les produits et le terroir local. Mais tout ceci est en perpétuelle évolution et je pense que la papaye et le kiwi en sont, aujourd’hui, comme le furent l’aubergine (dont les médecins faisaient des cataplasmes) ou la tomate lors de leur introduction chez nous.
Le G.P. : vous adorez raconter des histoires…
G.G. : Je raconte les choses que faisaient des cuisiniers qui avaient 50 ou 60 ans quand j’ai débuté jeune dans le métier. À l’école, j’étais nul mais j’étais très gentil ; en revanche, j’étais plutôt bon en rédaction française et je me souviens qu’un jour on nous avait donné un sujet libre alors j’avais écrit la recette du civet de lapin. Mon Dieu que c’est bon le civet de lapin ! Et les beignets de courgettes ! Mais plus personne ne les sert dans les restaurants.
Le G.P. : Dans quel état se trouve la cuisine provençale en ce début de IIIe millénaire ?
G.G. : Elle ne se porte pas si mal que ça, on trouve encore des soupes de poissons, du pan bagnat, de la bouillabaisse, la soupe et les pâtes au pistou mais je regrette la disparition de plats comme les fameux beignets de courgettes. Mais ne généralisons pas car il y a beaucoup de disparités entre la cuisine provençale servie sur le littoral et celle proposée à l’intérieur des terres.
La question de l’huile d’olive a beaucoup évolué elle aussi. Autrefois on ne cuisinait pas à l’huile d’olive et on ajoutait beaucoup d’huile d’arachide pour en adoucir la force. Ma grand-mère paternelle, qui était aixoise et marseillaise d’origine, ne travaillait que le saindoux et l’huile d’arachide.
Le G.P. : Nice, Toulon, Marseille sont finalement assez proches ?
G.G. : Regardez comme ces trois villes aiment les pois chiches. Personnellement, j’adore la socca servie à Nice, fine, un peu brûlée sur le côté. La cada à Toulon est plus épaisse et me plaît moins. J’adore aussi la panisse de l’Estaque, à Marseille. Ce sont des déclinaisons d’une même recette mais attention ! On délaye toujours la farine de pois chiches avec de l’eau froide et c’est seulement après que l’on ajoute l’eau bouillante.
« Faire une soupe de favouilles et cuire dedans les poissons à bouillabaisse, c’est merveilleux »
Le G.P. : Vous êtes varois mais également marseillais…
G.G. : J’ai grandi dans les quartiers nord de Marseille et j’ai appris le métier à l’hôtel de Noailles sur la Canebière. Aujourd’hui on dit le grand hôtel Noailles mais, autrefois, on parlait de l’hôtel de Noailles. C’était un très grand restaurant, à l’égal de ceux de Cannes, Nice ou Monaco mais on n’y cuisinait pas provençal. Un jour, 4 sénateurs ont réservé une table et ont demandé une bouillabaisse que l’on ne servait jamais à Noailles. Ce jour-là, le chef est venu lui-même cuisiner et ça a été magnifique… Je confirme aussi l’usage du beurre dans la bouillabaisse de Morard et même une dame de Draguignan, de mes connaissances, en mettait aussi. Personnellement, bien que je raffole du beurre, je n’en mets pas dans la bouillabaisse. Je suis aussi fou du chocolat. J’adore les gâteaux au chocolat en mousses, en tartes, l’opéra, le royal.
Le G.P. : Selon vous bouillabaisse et langoustes ne sont pas compatibles ?
G.G. : Mettre de la langouste dans le la bouillabaisse je ne suis pas d’accord, ça n’apporte rien. La langouste, il faut la manger seule, et cuite à l’anglaise, non plus, ça n’a aucun goût. Notez qu’on ne grille jamais directement une langouste. Il faut la blanchir 5 minutes et la laisser tiédir ; on la coupe ensuite en deux, puis on la passe à la braise. Une braise de sarments de vigne, de tige de fenouil, d’épines de pin. Il faut que les flammèches lèchent la carapace. Certains mettent du beurre mais moi je préconise d’y mettre de l’huile d’olive. Chacun fait comme il aime en cuisine, il n’y a rien d’absolu, mais attention ! Quand tu écris un livre, tu dois être rigoureux. Tu dois respecter la recette et son nom original.
Le G.P. : Et votre prochain livre ?
G.G. : Je l’ai en tête et il concernera le département du Var et ses communes. Je vais écrire sur les communes de la façade maritime. Tu savais qu’il n’y en a que 26 ? Je vais raconter tous ces lieux où je suis passé avec des anecdotes amusantes. Ce sera un livre souriant et comme Bormes c’est mon village, pour lui, je consacrerai 100 pages… cuisine provençale Gui Gedda
« Une vie frottée d’ail – La cuisine provençale d’hier et de demain » de Gui Gedda et Mayalen Zubillaga, éditions de l’Epure, hors collection, 608 pages, 42 €.
Photo Maki Manoukian cuisine provençale Gui Gedda
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