
Dix-huit ans, mois pour mois, après son inauguration, le Lauracée, table chérie de Christophe Negrel, tire le rideau. Convaincu par l’offre de Loris de Vaucelles, solide pointure de la restauration lyonnaise, le chef de 56 ans a décidé de changer de vie. Christophe Negrel a vendu le Lauracée et se confie au Grand Pastis à une semaine du dernier service.
Le Grand Pastis : Alors, Christophe, c’est la fin du Lauracée…
Christophe Negrel : J’ai pris une lourde décision, avec quelques répercussions pour pas mal de gens. Je m’en suis rendu compte depuis 3 semaines où on a vraiment officialisé la nouvelle, en le disant aux clients, table par table, service par service. Certains m’ont dit être choqués, d’autres avaient les larmes aux yeux, la tristesse sur leur visage.
Le G.P. : Vous avez été touché par ces marques d’amitié ?
C.N. : J’ai l’impression que j’avais mon rôle à tenir dans la société de la restauration de la rue Grignan, j’ai pensé compter dans la rue Grignan. Les clients perdent aussi leur lieu, leurs moments. Certains venaient tous les jours, toutes les semaines, tous les mois. Ça fait partie du métier de restaurateur, il y a toujours un début et une fin. D’autres ont été touchés mais je j’ai remarqué aussi qu’ils sont aussi très marqués à l’idée de ne plus revoir Helios, Victor et les autres. Tout le personnel aussi est un peu triste.
« J’ai tenu le Lunch, à Sormiou, de 2005 à 2007. Tout y était facile, il y avait la mer, le paysage… Une sardine grillée et ça suffisait »
Le G.P. : Que va devenir votre équipe ?
C.N. : Pour le moment, le personnel devrait rester ; le repreneur, M. Loris de Vaucelles, a fait part de son souhait de garder le personnel. Il y aura un peu plus d’un mois de travaux de ce que je crois savoir.
Le G.P. : 18 années au compteur…
C.N. : Je n’ai vraiment rien calculé, tout s’est fait par hasard. Le Lauracée a ouvert en mars 2007 et fermera 18 ans plus tard, en mars 2025. Le dernier service aura lieu le samedi 8 mars au soir.

Le G.P. : Quelles ont été vos plus grandes joies au Lauracée ?
C.N. : Une de mes plus grandes joies ça a été la réouverture après les travaux de rénovation de 2015-2016 qui ont duré 7 mois au lieu de 2 ! J’ai failli couler ; pour tout le monde, c’était presque une petite mort de pas pouvoir venir nous voir. On me demandait quand nous rouvririons et j’ai vécu la réouverture sept mois plus tard comme une renaissance, une libération. Je me souviens que les employés étaient là tout le temps, ils ne voulaient pas me mettre la pression mais voulaient vraiment revoir les clients et rebosser.
Côté joies, il y a des employés qui sont revenus me voir à l’annonce de la fermeture, des gens que je n’avais pas vus depuis des années. Il y en a un qui est revenu pour me dire : – Alors vous fermez tout putain ! Achetez, je vais retravailler avec vous »… En fait je reçois des messages, dont un de New York cette semaine. Je pense à tous ces gamins, les plus jeunes, et puis d’autres, qui sont devenus adultes, qui ont monté leur restaurant comme Antonio de La Quinta à Allauch. Tous ces gens qui sont installés ou qui sont devenus chefs qui ont eu un petit mot pour moi, « on s’est régalé », « on a bien bossé avec vous ».
Le G.P. : Vous avez été un patron dur ?
C.N. : J’ai pas été dur, j’ai été ferme et, surtout, j’ai été juste. Alors, c’est sûr que ça, ça dérange quand on est jeune. Beaucoup se sont aperçus, après plusieurs années passées chez les autres que je n’étais pas si dur que ça. Christophe Negrel a vendu le Lauracée
Le G.P. : Vous avez 56 ans, qu’allez-vous faire, après ?
C.N. : J’ai pas mal de réseau surtout sur la Côte d’Azur donc je vais me consacrer à mes clients et à mon réseau. Après je ferai les saisons, le ski en hiver à Courchevel ou Megève, l’été à Saint-Tropez ou Cannes… Voilà, ça durera quelques temps et puis je ferai du consulting, un peu des manifestations à droite à gauche… Je vais vivre un peu, voir le soleil, que je n’ai pas beaucoup vu. Quand j’arrive le matin, il fait nuit, et quand je pars le soir, il fait nuit. C’est pas mal de voir qu’il y a aussi une vie ailleurs.
« J’ai fait la cuisine qu’aimaient mes clients, des plats roboratifs, rassurants, de l’agneau de Sisteron, du veau d’Aveyron, des volailles de Bresse »
Le G.P. : Qu’est-ce qui a changé en 18 ans ?
C.N. : J’étais reconnu pour servir de beaux produits bruts, simplement travaillés.Et puis, au fur et à mesure des années, la cuisine a évolué et il a fallu se mettre à la page. Maintenant, grâce aux réseaux, c’est très facile d’être curieux, les nouveautés ça te saute à la gueule. J’ai orienté ma cuisine par petites touches, en ajoutant des petites choses un peu rock’n roll pour se réveiller et jamais s’embêter. Les jeunes qui m’ont rejoint étaient plus aventuriers ; actuellement j’ai Victor qui est qui est bien plus qu’un aventurier. J’avais vraiment besoin de cette jeunesse. En cuisine, on peut rester sur quelque chose d’ancien mais pas vieux et mes gars, ils ont ce côté punch qui parle à cette jeunesse qui vient encore au restaurant, qui dépense des sous au restaurant, qui font des économies pour venir manger. Et ça, ça compte.
Le G.P. : Un mot pour résumer 18 ans ?
C.N. : Oh putain !… Aujourd’hui, je dis fatigue et dans quelques jours je dirai qu’ici « j’ai pris du plaisir tous les jours ». Christophe Negrel a vendu le Lauracée
Le Lauracée, 96, rue Grignan, Marseille 1er arr. ; infos au 04 91 33 63 36.
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