L’arrivée à Gordes, en cet été 2019, de Jean-François Piège n’a rien d’étonnant, c’est même la suite logique du parcours d’un homme qui a toujours flirté avec le Sud de l’Hexagone. De ses origines drômoises à sa rencontre avec Bruno Cirino (la Turbie) ou Alain Ducasse (le Louis XV à Monaco), Piège voue à la cuisine sudiste un véritable culte. Il suffit de plonger dans la carte du Clover Gordes, le restaurant qu’il vient d’inaugurer cette semaine au sein de la Bastide de Gordes, pour s’en convaincre. De la poutargue, simplement présentée en tranches sur des toasts arrosés d’huile d’olive, aux légumes sous la cendre-fondue de parmesan-olives vertes cassées de Maussane, du chèvre mariné à l’huile d’olive aux tomates tonnato-amandes fraîches, Piège n’a qu’une envie : « nourrir le plaisir de la mémoire » et envoie paître à grandes rasades d’huile d’olive, les codes du palace et de la cuisine ampoulée.
Dans un décor toscan de tonnelle avec vue sur le Luberon et les forêts de chênes kermès et cyprès, à l’heure où le ciste et le cade brûlent au soleil, la carte aligne ses meilleurs arguments. En référence au Clover green de Paris (autre table siglée Piège à Paris), quelque verdure de belle facture : légumes comme une anchoïade-sauce herbacée, herbes et salades juste à l’huile d’olive et parmesan, jus de tomates pressées-glace-huile d’olive céleri et moutarde. En référence au Clover gril de Paris (autre table, carnassière celle-là, toujours du même impétrant), un taureau des manades, une bavette de boeuf prime angus, une côte de boeuf de Salers… le tout accompagné de frites aux herbes, d’aubergine au gril, de tomates courgettes, d’un jus d’une daube aux olives.
La chiffonnade de jambon de boeuf de Galice à picorer « pour attendre » offre un fumé et une rare longueur en bouche, portés par un gras et un salé très bien dosés. La carbonara de calmars sauvages est ample et contraste entre le délicat croustillant des petits lardons rissolés et l’onctuosité de l’assiette aux notes marines ultra délicates. L’agneau de la Crau mariné au pèbre d’ail, impeccablement servi rosé, suffirait à deux appétits ; la saucière qui l’accompagne, les frites dorées (craquantes, parsemées de thym et de sauge), les herbes et salades qui accompagnent, ressemblent à une sarabande de goûts, donnent le vertige et répondent en bouche à ce panorama qui éclate au soleil.
En lieu et place des churros-glace vanille et pot de sauce chocolat, on préférera la giboulée de fruits rouges-glace verveine accompagnée d’une délirante crème vanille et d’un rare coulis de fruits rouges aux notes dominantes de fraise. Les desserts respirent la joie de vivre, les enfants sont à la fête, les objectifs clairement atteints.
Alors faut-il y aller ? Oui car cette carte renoue avec les plaisirs paysans, ancre le cuisinier dans la terre et mise tout sur le produit et son extrême fraîcheur. Oui car, en dépit de cette huile d’olive que Jean-François piège met à toutes les sauces, frisant parfois la redite maladroite, le repas est léger, heureux et ne manque pas de courage. Tournant le dos à une gastronomie désuète, Piège a décidé de remplir les assiettes, de donner à manger. Oui parce que Clover Gordes fustige la gastronomie pédante. A Gordes, la cuisine de Piège se moque des assiettes aseptisées et travaillées à la pince à épiler. Pour ce courage et cette vision, pour cette richesse et cette opulence, on prendrait Piège dans ses bras pour le remercier.
Clover Gordes, la Bastide de Gordes, rue de la Combe, 84220 Gordes. Infos au 04 90 72 12 12. Carte 100-110 €.
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