
Avec Oui Cheffe !, Georgiana Viou et Olivier Montels signent un livre dense qui nous décrit l’envers du décor. Loin des paillettes et de l’apparente facilité véhiculée par les médias, le parcours de Georgiana, née à Cotonou, au Bénin, est exemplaire. Remise en question, obstination, vie affective et familiale, Oui Cheffe ! est un ouvrage sensible qui nous raconte comment, à force de travail, une « femme noire » a montré la voie. Un régal.
Le Grand Pastis : Georgiana, n’est-ce pas encore un peu trop tôt pour écrire un livre ? C’est un bilan de fin de carrière ?
Georgiana : Ce livre, ce ne sont ni des mémoires, ni une autobiographie, enfin un peu quand même… C’est juste le récit d’un parcours précis dans ma vie, c’est un bilan de la cinquantaine. Quand j’aurai fait la seconde cinquantaine, d’autres se chargeront d’écrire l’histoire de ma vie (rires).
Le G.P. : Est-ce que Oui, Cheffe ! est un livre « règlements de comptes » ?
Georgiana : Ce n’est ni un règlement de comptes ni un ouvrage de conseils ou de développement personnel genre « pour réussir ta vie, il faut faire comme ci, comme ça »… C’est un récit, comme si vous et moi, on ne s’était pas vus depuis 10 ans et vous me demanderiez ce qui m’est arrivé pendant tout ce temps…
Le G.P. : Les avortements, les amours, 3 enfants, la fausse couche…C’était si important d’aller aussi loin dans la dans la transparence ?
Georgiana : Oui mais il y a des choses aussi que je ne dis pas. Même si dans les premières pages du livre je dis que je vais « absolument tout vous dire », je préfère taire certaines choses. Quand j’évoque par exemple les avortements, les fausses couches, c’est pour expliquer pourquoi finalement ce bébé je le garde. J’ai beau tenir au Bon Dieu mais je me suis un peu arrangé avec lui quand j’ai fait mes trois premiers avortements. Et puis la fausse couche, je ne l’ai pas décidée… Quand je me découvre enceinte au bout de 5 mois de grossesse, j’ai quand même un pote qui me dit : – Tu sais on va en Espagne ou en Belgique et on peut quand même l’enlever »… A un moment j’ai dit stop ; ce livre explique l’état d’esprit d’une jeune fille de 23-24 ans, cet enfant bouleversait tellement ma vie que je trouvais important d’expliquer pourquoi le garder…
« Ma vie de cuisinière s’est faite à Marseille, la cuisinière que je suis est née à Marseille. Cette ville à plein de points communs avec Cotonou, et m’a tout donné en tant que femme et en tant que cuisinière »
Le G.P. : Autant de franchise, autant de vérité, est-ce que vous n’avez pas eu peur de vous fragiliser ?
Georgiana : Non parce que je suis déjà fragile, hyper fragile et peut-être que c’est une façon inconsciente aussi d’expliquer aux gens que sous cette carapace haute d’un mètre soixante-quinze (les gens s’imaginent que je mesure 1,90 m), derrière mon côté très trash, parfois cash, un peu pète sec, le grand sourire et les rires francs… Eh bien je suis comme la plupart des gens ; moi aussi j’ai des failles. Je ne passe pas ma vie à sourire, à rigoler et à faire des blagues. Ai-je eu peur de publier cet ouvrage ? Evidemment, une fois que c’est écrit, lorsqu’on reçoit le bon à tirer, on se dit que maintenant ce n’est plus juste une histoire entre mes enfants, Olivier, l’éditeur, Eric et moi. Tout le monde a accepté de figurer dans ces pages mais c’est quand même moi seule qui en subirai les retours de lecture.

« Je suis venue à Marseille un peu par hasard, en suivant mon amoureux. J’ai une histoire avec cette ville puisque mon grand-père, mon arrière grand-père ont aussi vécu à Marseille. »
Le G.P. : Vous expliquez comment vous mettez toujours en marche un mécanisme qui vous fait oublier l’imminence d’un défi…
Georgiana : Quand je candidate pour Master Chef, quand j’arrive sur scène pour la remise d’étoile du Michelin, quand je me retrouve face à une épreuve, il y a quelque chose en moi qui se débloque et tout d’un coup je me mets à être moi-même. Je me dis que « finalement, qu’est-ce qui peut m’arriver de pire ? », alors je me lâche et ça le fait.
Le G.P. : De nombreuses pages de Oui, Cheffe ! évoquent le harcèlement sexuel, la violence en cuisine, le racisme de certains banquiers marseillais qui vous refusent un prêt. Finalement c’est un monde un peu pourri loin de l’image fleur bleue de « la grande famille de la gastronomie » qu’on veut bien nous raconter…
Georgiana : Heureusement que j’ai aussi rencontré des gens qui m’ont tendu la main, il y a certes eu ces banquiers qui ont dit non mais il y a quand même eu Madame Noël qui, contre vents et marées, bien qu’elle ne me l’ait pas dit ouvertement, a défendu mon dossier bec et ongles en haut-lieu. C’est vrai qu’on a toujours tendance à s’arrêter sur les choses négatives mais s’il n’y avait pas eu autant de choses positives, je n’en serais pas là non plus. C’était important de l’évoquer mais je n’en fais pas non plus des chapitres entiers ! Je voulais expliquer que tout n’arrive pas comme ça, tout cuit. Il y a des gens qui, en vous regardant, s’imaginent que tout nous sourit, que les comptes en banque sont bien remplis, qu’on a bossé à la télé et que les banquiers nous ouvrent en grand les portes. Eh bien non, j’ai essuyé les plâtres comme tout le monde…

Le G.P. : L’après Covid a été un très pénible moment aussi ?
Georgiana : Ça a été un des moments les plus violents de ma vie. Au début de l’annonce du confinement, je ne réalise pas encore que ça va être la cata pour moi. J’ai pensé que comme j’avais pris un peu de retard, tout s’étant arrêté, j’allais pouvoir avancer sur mon projet. On avait commencé les travaux, on attendait le prêt, la banque nous a dit de ne pas nous inquiéter et puis on avait son accord de principe… Comme ça s’éternisait, l’accord de principe commençait à s’émousser, on a compris que ça allait devenir compliqué. Alexandre Mazzia et quelques autres ont appelé les banques pour les rassurer sur le sérieux et la viabilité du projet, sur mon sérieux professionnel mais ça n’a pas marché et ça a été la descente aux enfers.
Le G.P. : Avez plus compté sur les femmes dans votre parcours ou finalement homme-femme pour vous, peu importe ?
Georgiana : Je me fais le porte-voix de toutes les femmes qui n’ont pas de tribune mais en réalité, j’ai grandi dans une famille où on ne faisait pas de distingo dans le genre ‘t’es un garçon, tu ne dois pas pleurer’, ‘ t’es une fille tu dois te taire’… J’ai toujours gardé ça en moi, je ne me levais pas le matin en me disant ‘Oh là là je suis une femme ça va être compliqué’, ‘Oh là là mais en plus je suis noire, ça va être compliqué’… On a beau être en plein milieu du XXIe siècle, je constate que ce sont pourtant des sujets encore très ancrés dans l’esprit des gens. Finalement, je crois que ce serait une erreur de ne pas assumer ce que je suis : une femme noire, dans un milieu où les femmes sont rares, en tout cas des femmes mises en lumière.
Le G.P. : Oui Cheffe!, un ouvrage contre le racisme ?
Georgiana : Certains ont dit que j’y allais fort mais je ne le crois pas. Je ne fais que raconter ce qui m’est arrivé ou ce qui est arrivé à des copines qui m’ont raconté leurs expériences. Ce livre, c’est une façon de dire ‘oui ça existe’ et peut-être que quand vous lirez ces pages vous vous y retrouverez ? Mais ça ne doit pas être une fin en soi ni être un blocage. Pour ceux qui n’ont pas eu à subir ces exactions là, il y aura j’espère une prise de conscience. Je suis engagée dans le mouvement Restaure car nous devons faire savoir que ce que certains considèrent comme normal, peut parfois être du harcèlement, de la violence, du racisme, du sexisme…
Le G.P. : Et s’il fallait changer quelque chose ?
Georgiana : Apprendre à mieux gérer mon argent ! (rires)
« Oui, Cheffe ! », Georgiana Viou et Olivier Montels, Michel Lafon Ed., 28, pages, 18,95 €
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