Membre de la chaîne des Relais & Châteaux, l’Hostellerie le Phébus a été fondée voilà 40 ans par une famille de Vauclusiens qui revenaient au pays après un épisode de plusieurs décennies à Marseille. Xavier Mathieu avait alors 15 ans. Il en a 55 aujourd’hui. Deux fois papa, à la tête d’une entreprise de 80 personnes, le chef propriétaire mesure le chemin parcouru et se souvient tout en regardant au loin…
Le Grand Pastis : L’hostellerie le Phébus fête ses 40 ans, qui a décidé de s’installer ici alors qu’à l’époque, vous n’aviez que 15 ans ?
Xavier Mathieu : Nous arrivions de Marseille et c’est mon père qui, un jour, devant ce terrain, a dit : – Ce sera ici ». Moi, clairement, l’école, ce n’était déjà pas ma came. Je n’aimais pas ça. Quand je suis allé ensuite à l’école à Cavaillon, je ne m’y plaisais pas non plus. Je portais des baskets Nike et les collègues se moquaient de moi, le petit citadin, parce que j’avais des « nique » aux pieds. Dans cette affaire, papa a été l’architecte, le fondateur. C’était un homme discret ; maman, a été l’âme de cette maison, elle se chargeait de l’accueil.
Le G.P. : Comment se sont passés vos premiers pas en cuisine ?
Xavier Mathieu : J’ai commencé à travailler avec mes parents bien avant d’aller à l’école hôtelière d’Avignon. On ouvrait à Pâques pour la saison et j’ai grandi comme ça. Papa me faisait entièrement confiance et dès le début, avec maman, il m’a laissé faire avec toujours une ligne directrice : que les clients soient contents et que l’équipe soit heureuse. Au bout de deux ans, ils m’ont dit qu’il fallait que j’aille apprendre et c’est comme ça que j’ai intégré l’école hôtelière d’Avignon. J’ai fait mon CAP en alternance et voilà… Je n’ai fait que faire perdurer l’esprit et la volonté de ce qu’avait voulu la famille avant moi.
Le G.P. : Qu’est ce qui a changé en 40 ans ?
X.M. : Il y a eu en 40 ans autant de changements qu’il y en a eus avant et après la Covid. C’est énorme. La façon de vivre, de penser et de manger ne sont plus les mêmes. L’attente de la clientèle, sa quête du résultat final et de ce que doit être un bon repas ne sont plus les mêmes. Quand je relis un menu tel qu’on les concevait il y a 40 ans et aujourd’hui, j’ai envie de dire que c’était has been. Personnellement, je recherche le bon produit au bon moment. Maintenant, c’est le marché qui impose les menus alors qu’autrefois, on faisait imprimer les menus chez l’imprimeur pour 3 ou 4 mois et il fallait que le marché se plie à notre volonté. Désormais, les menus se pensent à la dernière minute, on cuisine au moment, on respecte la saison… Il y a beaucoup de chefs, décédés maintenant qui, dans les années 1980, gravaient leurs menus dans le marbre pour 3 ou 4 mois, les évolutions étaient mineures. Moi, aujourd’hui, je cuisine à l’instinct. Un chef de 20 ans aujourd’hui, n’a pas connu ces carcans.
Le G.P. : Et en 2001, tombe l’étoile…
X.M. : C’était en mars 2001, le Michelin nous a donné une étoile toujours conservée depuis. Elle incarne une exigence au quotidien avec toujours le souci du client en arrière-plan. C’est une responsabilité, un stress, une fierté.
« Je reçois tellement d’amour, je vis une vie que j’adore et ça me rend heureux. Je suis comme un gosse, quand je me couche, je me dis, vivement demain, que ça recommence »
Le G.P. : Les jeunes chefs d’aujourd’hui sont-ils comme vous étiez ?
X. M. : Je pense qu’il y a plus d’egocentrisme aujourd’hui. Je ne retrouve pas entre les chefs trentenaires d’aujourd’hui la même solidarité qu’il y avait entre nous. La Covid a flingué l’esprit de corporation, c’est lié à nos modes de vie. L’idéal n’est plus dans le travail, les cuisiniers vont chercher leur réalisation ailleurs que dans le travail.
Le G.P. : C’est bien de vivre à Joucas ? Ne préféreriez-vous pas exercer en ville ?
X. M. : La vie à Joucas, c’est cool, pour vivre ici, il faut aimer la campagne et il faut reconnaître que c’est une bulle. C’est lorsque je vais en ville que je me rends compte de la réalité du vrai monde. Pour faire ce qu’on fait, la vie à Joucas, c’est l’idéal.
Le G.P. : Avec l’évolution des prix, l’hostellerie le Phébus n’a-t-elle pas perdu une partie de ses clients ?
X. M. : Oui, nous avons perdu une partie de nos clients et pour les faire revenir, j’ouvre ma maison à d’autres formes de restauration, avec le bistrot par exemple. Dès la mi-mai, tous les mardis soirs se passeront autour du brasero en bord de piscine. Je veux répondre aux nouvelles demandes du public. Les cuisines sont ouvertes et on peut y prendre un apéritif, un cours de cuisine et même y manger. Je sers des repas au potager avec des menus 100% végétariens servis avec les produits du potager en direct. On allège tout, on supprime certains codes empesés du service. Le bistrot c’est 50 € par personne au lieu de 150 € au restaurant étoilé et ça marche bien.
Le G.P. : Vous semblez aller vers plus de simplicité et de transparence ?
X. M. : Nous devons nous ouvrir, être moins opaques. Simplifier, expliquer, dire ce que l’on fait : j’explique aux clients que le pain n’est pas jeté mais donné aux animaux, nous compostons, les gens sont très attentifs à notre mode de fonctionnement. Je demande du carton à la place du plastique à mes fournisseurs et le moins d’emballage possible. Les jeunes sont très sensibles aux questions d’environnement. Quand j’embauche, ils me posent des questions sur nos comportements et engagements, ils sont très soucieux de l’avenir de la planète, c’est vraiment très bien ça.
Le G.P. : Et pour les 40 prochaines années ?
X. M. : J’ai de supers collaborateurs, un chef qui est au top. Si on veut avancer, il faudra confronter les idées, savoir se dire non et oui, être constructif, continuer et transmettre, dans un idéal d’éternité. Ce qui est important, ce sont les goûts, le partage, les moments nés autour d’une table, le souvenir d’un plat, d’un goût. Mon plus grand bonheur, c’est d’accueillir les enfants de nos premiers clients, ceux qui sont venus pour la première fois, il y a 40 ans…
Hostellerie le Phébus, Xavier Mathieu, 220, route de Murs, 84220 Joucas ; infos au 04 90 05 78 83.
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